Scène 1, Acte I.

Les personnages:

Arlequin (est de toutes les couleurs)
La maîtresse (est rouge)
Thibaud (est vert)
Yoann (est bleu)
Mélanie (est rose)
Daniel (est orange)

Décor: une salle de classe.

Les personnages sont tous présents sur scène. Lorsque l’un parle, les autres continuent de vivre normalement comme si on avait coupé le son sur leur dires ou leurs activités. Ils s’adressent tous au public.

Arlequin fait office de maître de classe. Il porte un masque noir.

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La maîtresse (assise sur une table): « Daniel jouait au football pendant l’heure de la récréation de 10h30.
Comme à leur habitude, lui et ses camarades entamaient le premier match de la journée par un chou-fleur.
Je me souviens qu’il était particulièrement excité ce matin là. Il faut dire qu’il avait reçu la note de 8/10 en dictée, ce qui n’est pas son fort. Daniel aime l’histoire.
Lorsque la sonnerie a retenti, il a levé le doigt et à dit « Maîtresse? On peut sortir? » Ce à quoi j’ai répondu: « Non Daniel, quand je le dirai. »
Il se tortillait alors sur sa chaise comme s’il avait une envie pressée. Je corrigeais la dictée et il ne me restait qu’une phrase à écrire au tableau avant de les laisser sortir.
C’est toujours un moment particulièrement pénible. On dirait que, dès cet âge là, de petits fonctionnaires naissent.
J’imaginais Daniel à 25 ans, rentrant du travail et s’affalant sur son canapé, une bière posée sur un bidon plein de fast-food et de bière, une chemise orange à moitié ouverte et riant devant des gags débiles à la télévision.

Je les lâchai enfin dehors.
Je suis allée chercher un café avant de me poster dans la cour de récréation et je discutais avec Bénédicte qui venait de libérer ses CM2.

Tout s’est passé très vite. Je n’ai pas vu la chute. J’ai simplement entendu quelques cris. Thibaud, l’ami de Daniel a crié « Maîtresse! Vite! Daniel s’est fait mal! » Je me retournai alors et vu un amas d’élèves. Je me précipitai vers eux et leur demandai de me laisser passer. J’entendais des « bah » et des « brrr » et des « c’est dégoûtant ». Les filles de la classe étaient aussi là et assistaient au spectacle: Daniel s’est cassé l’index de la main droite.
Quand je me suis baissée pour regarder, Daniel ne pleurait pas, ne bougeait pas. Il m’a dit « Maîtresse, je crois que je pourrais plus écrire » et il m’a montrée son doigt qui était tordu et déjà un peu gonflé.

Je l’ai pris dans mes bras et j’entendais des « ouh » et des « oh les amoureux » et des « oh le chanceux il va plus pouvoir écrire » alors je criai en leur disant que ça n’était pas drôle. J’avais surtout eu peur.

On a appelé les parents de Daniel. Son père, au chômage est venu le chercher et le lendemain il avait un plâtre jusqu’au deux tiers de son avant bras. Il était fier comme tout, héros du jour. »

Thibaud: « Daniel s’est cassé le doigt. Celui de la main pour écrire. Je l’ai vu et je peux même dire que c’est Yoann l’âne qui l’a poussé. Il est bête celui-là! Ah ouais.
En fait, tu vois, eh ben… Yoann et Daniel le matin dans la classe ils se sont disputés parce que Yoann il a eu 2/10 à la dictée alors qu’elle était vraiment facile. Moi j’ai eu 9, Mélanie elle a eu 10, Daniel il a eu 8 et d’habitude il a que 4 ou 5. Alors là il était content et il a rigolé quand il a vu la note de Yoann l’âne… Il est bête celui-là… Ils sont voisins.
La maîtresse elle veut plus qu’on soit à côté parce que à cause de lui j’ai pas de très bonnes notes, il me dissipe la maîtresse elle a dit et que moi je suis un bon élève normalement.
Et bon, du coup, ben… C’est Yoann qui est à côté de lui. Il était en colère et il a poussé Daniel et la maîtresse elle l’a vu alors elle l’a crié comme ça « Yoann, c’est pas parce que tu es de mauvaise humeur que tu dois embêter Daniel » et Daniel il était content encore plus et Yoann pas content encore pire.

Quand on est descendu à la récré il a dit à Daniel « tu vas voir » et Daniel rigolait encore. Moi j’avais un peu peur. Yoann il a 9 ans et nous que 8. Il est un peu grand et il sent la transpiration.

Bon. Et on fait les équipes comme d’habitude. J’étais dans l’équipe de Daniel comme d’habitude, au goal. Daniel, lui, joue avec moi, défenseur, il se la pète pas.
Yoann il est attaquant. Il a des total 90 aussi c’est pour ça.

Bon. Le match venait de commencer et là Yoann prend la balle et Daniel le tacle sur le côté et du coup ça tord la cheville à Yoann qui crie. Daniel rigole. Y’a Jérôme qui rigole aussi. Jérôme il rigole tout le temps. Alors Yoann il devient tout rouge et moi je vois tout parce que je suis dans les buts: il le pousse comme ça « boum! » et Daniel il est par terre et Jérôme il rigole plus et il dit à Yoann qu’il est « con » et Yoann il rigole pas non plus. Il est tout blanc d’un coup, il tremble un peu. Alors là, je vais lui dire qu’il est « con » parce que c’est vrai, c’est un âne, et je regarde Daniel qui me montre son doigt alors j’ai peur et je crie. Et là, y’a tout le monde qui vient autour de mon copain. Et je crie la maîtresse pour qu’elle vienne et elle est vienne, elle est venue, pardon.

Moi après j’ai eu peur. Quand je suis rentré à la maison j’ai demandé à Papa si on allait lui remettre son doigt normalement; il a dit « oui » et c’est vrai, on lui a remis son doigt mais dans un plâtre et moi je vais écrire dessus mon nom.

Et Yoann il a pas été puni. Il a pleuré après, c’est pour ça qu’il a pas été puni. Moi je veux plus jouer au foot avec lui, c’est un âne. »

Yoann: « J’ai cassé le doigt à Daniel mais je le voulais pas, je le jure. (il pleure)
C’est parce que, aussi, il m’avait charrié dans la classe parce que j’ai eu une mauvaise note et mon père il va me disputer. J’en ai marre de l’école moi! Je veux partir très loin d’ici sans personne comme ça je serais tranquille.
La maîtresse son chouchou c’est Daniel et moi je suis celui qu’elle aime le moins alors comme on est à côté elle me dispute tout le temps et lui jamais. Alors qu’il est méchant avec moi. Il dit toujours que je sens les poubelles et que je serai éboueur! Moi, je voudrais bien être son copain en plus, je l’aime bien et je lui ai rien fait!
J’ai cassé le doigt à Daniel… (Il pleure) Mais je le voulais pas, je le jure! » (Il couine comme un chien)

Mélanie: « Daniel il s’est cassé le doigt. Maintenant il a un plâtre et c’est le roi de la classe alors qu’il est moche. Je comprends pas pourquoi Julie elle est amoureuse de lui. Lui, il l’aime pas en plus.

Moi, Yoann, Julien, Cyril et Tristan c’est mes amoureux. Mais je les aime pas. Moi, j’aime Florian. Il est en CM2 et il est très fort. C’est le grand frère de Manon qui était avec moi en CE1. C’est ma copine parce que son frère c’est Florian mais en vrai je l’aime pas.
A la dictée hier j’ai eu 10. Sur 10 bien sûr. C’est moi la première de la classe. Thibaud c’est le deuxième mais il me battra jamais. C’est moi qui a le plus d’amoureux aussi.

Et puis, comme j’ai des bonnes notes Maman va m’acheter une robe de princesse ce weekend. Si c’est moi la princesse, c’est pas Daniel mon roi: il fait que jouer au foot et il parle jamais aux filles.

Quand il s’est cassé le doigt, j’ai dit à David l’animateur que j’avais la tête qui tourne et il m’a prise sur ses genoux comme ça, un peu. Il doit être amoureux de moi aussi.

Enfin… Maman elle m’a dit que Papa venait le weekend pas celui-là, celui d’après d’après avec Florence, ma belle mère, mais je vis pas chez eux, ils habitent dans le sud. »

Daniel: « Hier, à la récré, je me suis cassé le doigt. C’est Yoann qui m’a poussé mais c’est pas grave, il a pas fait exprès, c’est Papa qui me l’a dit qu’il avait pas fait exprès.
Yoann, c’est mon voisin de classe. Thibaud il l’appelle Yoann l’âne. Il est un peu bête… Il a redoublé aussi c’est pour ça.
Enfin bon. Il m’a cassé le doigt parce que je l’ai charrié parce qu’il a eu une mauvaise note à la dictée et moi j’en ai eu une bonne mais bon, elle était facile.
Alors, après dans la cour, quand on faisait le match, il m’a poussé. D’habitude, je me casse rien mais là je suis tombé sur les genoux et mon doigt à côté du doigt d’honneur il était sous mon genoux et ça l’a tordu comme ça. J’ai pas eu mal du tout mais tout le monde courait autour de moi et j’aime pas. Il y avait trop de monde et j’ai vu mon doigt et je me suis dit qu’il était cassé et j’avais la tête qui tournait.
Après, la maîtresse elle est venue et j’ai rigolé en disant que je pourrais plus écrire et elle m’a pris dans ses bras. Ca m’a fait bizarre parce que elle m’avait jamais pris dans ses bras et j’aime bien son odeur à la maîtresse. Tout le monde disait « oh les amoureux » et moi je veux bien être son amoureux.
Elle était gentille comme ça; on est allé à la loge, elle m’a donné de l’aspirine et on a appelé Papa qui travaille plus à cause de son accident du travail. Il était ouvrier, Papa.
La maîtresse est restée avec moi et je lui ai dit que je pourrai pas réciter ma poésie cet après midi et comme je l’avais apprise je lui ai demandé si je pouvais la réciter maintenant. Elle a dit « oui » alors j’ai dit la poésie:

La fourmi, le tamanoir et le puma.

Une jeune fourmi de sortie du nid
S’en va chercher à manger avec ses amies
Pour nourrir et sa reine et toute sa patrie.

Un jeune tamanoir alerté par leurs chants
S’est glissé sous un buis et les attend gourmand.
Il faut dire qu’il n’a pas mangé depuis longtemps.

Voilà qu’elles arrivent, il y en a à l’infini!
Il se frotte le bidon en se pourléchant
Prêt à manger jusqu’à se couper l’appétit.
Quatre-vingt puis cent et sa grande langue s’étend.
La petite fourmi s’écrie « quelle tragédie!
Comment un animal peut-il être aussi méchant?! »
Elle saute sur la truffe du tamanoir et lui dit:
« Vous êtes un grand criminel, un buveur de sang,
Pourquoi vous attaquez-vous donc aux plus petits? »
Il la regarde avec de grands yeux innocents:
« Ce n’est qu’une simple question de survie,
Comment pourrais-je faire pour manger autrement?
Mais, petite fourmi, je te laisserai la vie
Car tes paroles sont allées en me touchant »

Il sort de son buis et un puma l’engloutit
Sans discernement, sans question, sans chichis,
Sans pitié et sans honte; simplement, c’est ainsi.

Petite fourmi, ici, qui est le méchant?
Peut être est-il temps de regarder autrement
Et de se demander « et si », « pourquoi » et « comment ».

Elle m’a dit « c’est bien » et Papa est arrivé en voiture parce qu’on devait aller à l’hôpital et mon doigt il était un peu gros.
Il était calme et il m’a fait un bisou sur l’œil comme d’habitude. Il m’a dit que ça se passerait bien.
Après, on est allé à l’hôpital qui n’est pas loin de l’école et aux urgences y’avait un monsieur dans un fauteuil, son pied était tout gonflé; y’avait une dame qui criait parce qu’elle avait mal au ventre; y’avait une petite fille on aurait dit qu’elle était morte. Et les médecins ils venaient de partout. Papa m’a fait asseoir et est allé fumer; j’aime bien quand il sent la cigarette.
On a attendu très longtemps et j’avais faim alors Papa m’a acheté des Twix.
Puis, y’a une dame médecin qui est venue nous voir et elle a dit qu’elle pouvait nous prendre alors Papa m’a pris dans ses bras et on est allé dans plein de portes jusqu’à la salle où je me suis assis sur le lit des médecins et on a encore attendu.
Après, un vrai docteur est venu et il sentait les gants pour la vaisselle. Il a regardé mon doigt et il l’a pris d’un coup sec et j’ai crié « ah! » et après mon doigt il était tout droit. Il m’a dit que j’étais très courageux et que j’allais avoir un beau plâtre. J’ai toujours rêvé d’avoir un plâtre mais en vrai quand on veut se gratter c’est chiant et puis je peux plus trop jouer et même écrire. Je pensais que ça allait être bien mais en fait c’est nul alors à la maison, quand Maman est arrivée, j’ai pleuré. »

Arlequin (face au public): « Le monde est plein de couleurs, voilà son vrai décor. Je préfère être un guignol comme une faute d’accord. Pourtant je suis Dieu, on est d’accord. »